Les bravos éclatèrent avant même que l’orchestre eût joué les dernières mesures du finale. Sur l’immense scène de la grande salle du Palais de Chaillot, les danseurs de la troupe soviétique restèrent figés dans leur attitude alors que le rideau tombait. Enthousiasmés par le brio étourdissant des artistes et par la beauté du tableau, les spectateurs s’étaient levés pour applaudir à tout rompre. Une clameur chaleureuse succéda aux ultimes accords des cuivres.
Le rideau se rouvrit : à présent, groupés face au public, les danseurs, encore essoufflés et ruisselants de sueur sous leur maquillage, s’inclinèrent avec ensemble. L’intensité des bravos redoubla, fut accompagnée par un martèlement de talons et par des cris traduisant la sincère admiration de la foule.
Sur le plateau, parmi ses camarades, Oleg Nekrassov salua derechef. Chez lui, le bienheureux sentiment de triomphe qui récompense les artistes au terme d’une exhibition réussie n’était pas sans mélange, car une sourde appréhension le tenaillait à l’approche du moment décisif.
A cinq reprises, et chaque fois sommé par d’infatigables salves d’applaudissements, le rideau s’écarta sur les acteurs du Groupe Folklorique de Moscou. Leurs costumes aux couleurs vives resplendirent sous les faisceaux des rampes et des projecteurs, puis la lumière s’alluma dans la salle tandis qu’elle s’atténuait sur la scène. Les lourds plis de velours se rejoignirent, coupant définitivement les artistes du public.
Alors, un prodigieux remue-ménage régna sur le podium : tandis que des spectateurs privilégiés émergeaient des coulisses pour venir congratuler les vedettes masculines et féminines, les artistes de second rang échangèrent leurs impressions ou s’égaillèrent vers leur loge, entre les accessoiristes et les machinistes qui se précipitaient pour dégarnir la scène de ses décors.
C’était le moment qu’avait attendu Nekrassov depuis trois jours. Les « accompagnateurs », qui suivaient la troupe dans tous ses déplacements et qui veillaient à ce que ses membres ne commettent pas d’incartades en pays capitaliste, ne pouvaient exercer leur surveillance partout à la fois, pendant la dizaine de minutes après la fin de la représentation. Surtout lorsque celle-ci était la dernière, dans une capitale comme Paris, et quand diverses personnalités françaises et étrangères rencontraient sur le plateau des attachés de l’ambassade soviétique.
L’estomac noué, Nekrassov se dirigea d’un pas naturel vers les coulisses. Au lieu de regagner sa loge, il se rendit aux toilettes où, d’ailleurs, deux ou trois collègues l’avaient précédé. Après une courte halte, il en ressortit, bifurqua dans un couloir menant au magasin d’habillement. Empruntant alors un escalier qui conduisait au sous-sol, il alla chercher la gabardine qu’il avait suspendue à un clou pendant le dernier entracte.
Elle s’y trouvait encore, Dieu merci... Il aurait suffi qu’un des employés du Palais de Chaillot la changeât de place pour que son plan fût compromis. Le danseur enfila rapidement sa gabardine tout en poursuivant son chemin.
Les nerfs contractés, il atteignit une porte de fer donnant sur les jardins du Trocadéro. Le battant s’ouvrit et Nekrassov déboucha à l’air libre. Par un sentier latéral, il se hâta vers une avenue toute proche.
Bien qu’assuré désormais du succès de sa tentative, il n’était pas submergé par l’ivresse de la liberté. Maintenant qu’il déambulait seul dans cette ville étrangère, en sachant qu’il venait de couper tous les ponts avec ses camarades, avec son pays natal et le monde communiste, il éprouvait subitement une étrange sensation de nostalgie. Mais sa raison se révolta contre cette inexplicable faiblesse. Il releva son col, enfonçai ses poings dans ses poches, lança de part et d’autre un regard inquisiteur lorsqu'il atteignit le trottoir de l'avenue.
L’air froid de la nuit le fit frissonner : la transition avec l'air surchauffé de la salle et la frénésie de sa dépense physique dans la dernière scène était trop brutale.
D'un geste, il intercepta un taxi. En s’engouffrant dans la voiture, il jeta au chauffeur, d’une voix enrouée :
- Commissariat de police...
Le conducteur, aussi intrigué par le maquillage que par l’accent et la destination de ce singulier client, lui décocha un coup d'œil en biais puis, philosophe, il abaissa son drapeau et embraya.
Quelques minutes plus tard, il stoppa devant l’entrée du commissariat du XVIème arrondissement. Nekrassov lui fourra un billet dans la main. Sans attendre la monnaie, il actionna la poignée de la portière, descendit du taxi, pénétra dans l’édifice.
Un gardien de la paix l’interpella :
- Que désirez-vous ?
Le Russe eut une expression teintée d’embarras. Il extirpa un carnet et une enveloppe de sa poche intérieure et articula tout en les tendant à l’agent de police :
- Pas... parler français. Asile... Protection.
Les oreilles du représentant de l’ordre bougèrent. Machinalement, il accepta les papiers que lui offrait le visiteur, et il comprit sur-le-champ de quoi il s'agissait. Du moins, il le crut.
Il fit entrer le particulier dans la permanence, l’invita à s’asseoir. Ensuite, il déclara au brigadier :
- Ce type dit qu’il demande protection... Ce doit être un étranger, évadé tout droit du Palais de Chaillot.
Le brigadier fronça les sourcils, haussa un peu le buste pour regarder l'individu en question par-dessus le comptoir. Son diagnostic rejoignit celui du planton.
- Probable, opina-t-il en s’emparant à son tour du livret et du pli. Laissez, je vais m’occuper de lui.
Le lendemain après-midi, le Vieux rajusta ses lunettes pour fixer Francis Coplan quand ce dernier fut entré dans son bureau, puis il prononça d’un air ennuyé :
- J’aurais préféré ne pas devoir faire appel à vous pour une bêtise pareille, mais le fait est que je n’ai personne d’autre sous la main. Enfin, je pense que ça ne vous prendra qu’une heure ou deux...
En complet gris foncé de bonne coupe, la blancheur de sa chemise soulignée par une cravate bleue d’une sobre élégance, Coplan eut un geste détaché pour apaiser les scrupules apparents de son chef.
- Mes loisirs s’éternisent tellement que j'en suis presque aux mots croisés. Qu'y a-t-il pour votre service ?
Comme il était rentré de mission l’avant-veille, l’affabilité de ses propos devait dissimuler une certaine dose d’ironie, mais le Vieux n’en décela pas la moindre trace sur son visage ouvert, et il bougonna :
- Les gens de la D.S.T. ont recours à nous pour des futilités, comme si nous n’avions pas d’autres chats à fouetter... De plus, ils ne manquent pas d’interprètes et ils doivent tout de même être de taille, j’imagine, à retourner un type sous toutes ses coutures pour voir ce qu’il a dans le ventre.
Il haussa les épaules avec agacement, repoussa le dossier qu’il étudiait avant l’entrée de Coplan et qui n’avait aucun rapport avec l’objet de sa convocation.
- Asseyez-vous, je vais vous expliquer l’histoire en deux mots, reprit-il en se disposant à bourrer une pipe pendant cet intermède.
Coplan s’installa aussi confortablement que si l’entretien devait durer tout l’après-midi. Ses yeux clairs ne traduisirent ni intérêt ni contrariété. Il savait par expérience que les préambules du Vieux n’anticipaient jamais sur l’importance réelle d’un travail quelconque et qu’il n'y avait donc pas lieu de se fier au dédain qu’il affichait.
- La nuit dernière, commença le fonctionnaire après avoir aspiré deux bouffées, un nommé Oleg Nekrassov a, comme on dit, choisi la liberté. Dans la pratique, ça signifie naturellement qu’on l’a fourré au bloc et qu’il a été mis sur la sellette pendant des heures.
Coplan acquiesça d’un battement de paupières. Le Vieux tapota le fourneau de sa pipe contre le rebord du cendrier afin d’en faire tomber quelques brins de tabac qui risquaient de choir sur son costume, puis il poursuivit :
- Ce Nekrassov est un des danseurs de la troupe de Moscou en tournée dans les capitales d’Europe, et qui a tenu l’affiche au Palais de Chaillot pendant une huitaine de jours. Cela, c’est positif, bien établi. Le gars s’est débiné après la chute du rideau, est arrivé au commissariat du XVIème et a spontanément présenté son passeport. Il y avait joint un court message en français disant en substance : « Acceptez-moi comme réfugié politique, ma vie est menacée. » La formule traditionnelle des ressortissants de l’Est qui, pour un motif ou un autre, veulent s’introduire en France sans visa. Interrogé plus tard à la D.S.T. sur les raisons de son acte, Nekrassov a déclaré que, sans être anticommuniste, il refusait de se plier à certaines exigences des autorités soviétiques et qu’une telle attitude l’exposerait tôt ou tard à de graves périls.
- Le baratin classique, commenta Francis.
- ... Et habituellement incontrôlable, renchérit le Vieux. La plupart du temps, le type n’est qu’un banal aventurier désireux de changer d’air et n’ayant d’ailleurs pas d’autre ressource pour s’établir de l’autre côté du Rideau de Fer. Fidèles à nos principes d’hospitalité, nous fermons généralement les yeux et nous autorisons le quidam à séjourner sur notre territoire. Mais voilà : Nekrassov cherche-t-il à se faire valoir ou est-il sincère ? La D.S.T. l’ignore. Toujours est-il qu’il prétend détenir des renseignements susceptibles d’intéresser les Services Spéciaux français et qu'il est prêt à les livrer dès qu’il aura reçu l’assurance qu’il pourra vivre ici avec de nouveaux papiers d’identité.
Une grimace dubitative plissa les lèvres de Coplan.
- Peu de chances que ce soit sérieux, supputa-t-il à mi-voix.
- C’est aussi mon avis, maugréa le Vieux. J’ai demandé à la D.ST. pourquoi on ne l’avait pas pressé de vider son sac, au lieu de nous appeler à l’aide. Il paraît qu’on a essayé, mais que Nekrassov a refusé de divulguer quoi que ce soit devant un interprète : il réclame un entretien seul à seul avec un personnage compétent, apte à saisir l’intérêt de ses révélations et bien au courant des affaires intérieures soviétiques. Il n’a pas démordu de cette position en dépit de tous les arguments et des moyens d’intimidation utilisés par les inspecteurs. Alors, j’ai pensé à vous.
Coplan questionna :
- Où est-il détenu ?
- Rue des Saussaies, provisoirement.
- Bon, j’y vais, dit Francis en se levant. Si le type est un plaisantin, je rentrerai chez moi et je vous passerai un coup de fil. Dans le cas contraire, je reviendrai ici.
- Bonne soirée, souhaita le Vieux, indiquant par ce raccourci qu'il ne se faisait guère d’illusions sur l’issue de l’interrogatoire.
Coplan prit un taxi. Il était relativement surpris de ne pas devoir sauter dans un tram ou dans un avion. Pour une fois, le Vieux ne lui avait pas doré la pilule.
Vers 3 heures et demie, Nekrassov fut amené dans un bureau où se tenait un homme élégant et de haute stature qui lui adressa d’emblée la parole en russe.
Débarrassé de son maquillage, mais encore vêtu de son costume de scène - blouse de soie serrée à la taille, culotte bouffante et bottes rouges – le danseur était un bel athlète d’une trentaine d’années. Son expression soucieuse se détendit.
- Vous appartenez au S.R. français ? s’enquit-il aussitôt.
- Disons que je le représente, rectifia Coplan, assez froid. Pourquoi désiriez-vous entrer en contact avec un Service spécial ?
Nekrassov sourit.
- Je n’y tiens pas tellement... Mais si votre pays m’accorde le droit d’asile, je considère comme la moindre des choses de le payer en retour par une politesse.
Il était calme, sûr de lui, nullement servile. Néanmoins, posant sur lui un regard glacé, Coplan s’abstint de le pousser dans la voie des confidences. Il voulait d’abord jauger le bonhomme.
S’apercevant de l’examen que lui faisait subir son interlocuteur, Nekrassov remua les épaules.
- Je suis un transfuge, mais pas un traître, précisa-t-il en fixant Coplan droit dans les yeux. Ne vous figurez pas que l’ai l’intention de vendre certains secrets ou de nuire à l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Non... Mettons que je veuille vous faire un petit cadeau en échange du permis de séjour.
Coplan arbora un scepticisme sarcastique.
- Votre attention me touche profondément, mais je doute qu’un chorégraphe puisse nous apprendre quelque chose d’original dans un domaine autre que celui de la danse, persifla-t-il. Nous possédons de bonnes sources d’information.
Nekrassov ne broncha pas.
- Libre à vous de ne pas tenir compte de mon offre, si vous estimez pouvoir vous en passer. Moi, ce qui m’importe, c’est que vous ne me remballiez pas en U.R.S.S.
Un cinglé - ou même un naïf - n’aurait pas manqué d’insister sur l’importance capitale des tuyaux qu’il apportait, mais le Russe ne cherchait visiblement pas à se faire valoir.
Après un instant de réflexion, Coplan prononça :
- En somme, vous n’êtes pas anticommuniste, vous êtes patriote, vous êtes un des favorisés du régime puisque vous voyagez constamment à l’étranger, et cependant vous ne voulez plus rentrer chez vous. Pourquoi, exactement ?
Railleur, il ajouta :
- Vous avez des ennuis conjugaux ?
Hésitant, Nekrassov le regarda longuement avant de répondre. Puis, croisant les bras, il dit d’une voix sourde :
- Je tiens à ma peau et à ma liberté, ni plus ni moins. Je n’ai pas voulu parler devant des inspecteurs de police qui me questionnaient par l’intermédiaire d’un interprète venu je ne sais d’où. Avec vous, c’est différent : je suis certain que mes déclarations ne filtreront pas dans la presse. En réalité, sous le couvert de ma profession de danseur, j’étais un agent de liaison du Razvedroup.
Coplan puisa son étui à cigarettes dans sa poche intérieure, appuya sur l’onglet.
- Admettons... Cela explique d’autant moins votre attitude, murmura-t-il en insérant une Gitane au coin de sa bouche. Dans cette situation, on ne se fourre pas délibérément dans les pattes de la police.
- Parfois, cette solution-là est la moins mauvaise, rétorqua Nekrassov. J’ai préféré m’en tirer de cette façon avant qu’il ne m’arrive une catastrophe. Et elle me pendait au nez, tôt ou tard.
- Tous ceux qui s’engagent dans cette voie le savent avant de commencer, fit valoir Coplan après avoir rabattu le capot de son briquet. Qu’est-ce qui vous a soudain démoralisé ?
Il désigna un fauteuil au Russe, s'assit d’une fesse sur le rebord du bureau.
- On a essayé de me descendre en Suède et j’ai failli me faire écraser par une voiture à Paris, répondit Nekrassov. Comme les déplacements de ma troupe sont annoncés partout, il n’est pas difficile de retrouver ma trace.
- Raison de plus, si vous étiez grillé, pour rentrer dare-dare en U.R.S.S., objecta Coplan d’un ton affable. Vous pourriez difficilement trouver un meilleur refuge.
- Peut-être, admit Nekrassov. A condition toutefois que je sache qui a voulu m’abattre et pourquoi. Or je n’en ai pas la moindre idée. Si un service de contre-espionnage européen m’avait repéré, il m’aurait arrêté... ou placé sous surveillance. Il n’aurait pas tenté de me liquider.
- Vous croyez que ces deux attaques ont été dirigées contre vous par des compatriotes ? s’informa Coplan.
- Je n’en sais strictement rien, avoua Nekrassov. Je n’exclus pas cette hypothèse, puisque je ne suis pas à même d’en formuler une qui tienne debout.
Il s'exprimait sans excitation, lucidement, en homme aux prises avec un problème insoluble mais ne songeant pas à impressionner son interlocuteur. Il semblait exposer les faits avec sincérité.
- Si nous entrions un peu dans les détails ? suggéra Coplan. Normalement, votre première réaction aurait dû vous inciter à prévenir votre chef : il vous aurait retiré du circuit et envoyé dans une région connue de lui seul. Pourquoi me racontez-vous, à moi, ce que vous lui avez tu ?
Un certain accablement se peignit sur les traits du Russe.
- J'en avais assez, de cette existence, grommela-t-il. Au début, je me suis laissé embarquer parce que cela me paraissait un jeu attrayant et pas trop dangereux ; en marge de mon métier d'artiste, j’accomplissais de temps à autre une mission au profit de mon pays : l’acheminement d'un message ou de microfilms que me remettaient des agents professionnels. Mais, petit à petit, j’ai mieux réalisé les risques auxquels je m’exposais : il suffisait qu’un de ces informateurs soit surveillé pour entraîner mon arrestation et me faire condamner à quelques années de prison. Cette perspective a fini par empoisonner toute ma vie, à gâcher mes satisfactions artistiques et à supprimer les agréments de mes voyages dans le monde. Les attentats que j’ai subis ont fait déborder la coupe.
Bien sûr... Certains êtres ne supportent pas indéfiniment la tension nerveuse qu’imposent les activités clandestines. Et, dans cette branche, on ne démissionne pas.
Coplan eut une mimique compréhensive.
- Bref, résuma-t-il, vous désirez disparaître de la circulation, changer de personnalité, repartir de zéro. Et vous comptez sur moi pour vous y aider ?
- Oui, fit Nekrassov. L’idéal, ce serait même que vous me fassiez passer pour mort : suicide, accident, tout ce que vous voudrez. Je vous le répète : je ne suis pas un ingrat.
Coplan étendit le bras pour secouer sa cigarette au-dessus d’un cendrier.
- Sortez l’atout que vous avez dans la manche, invita-t-il calmement.
CHAPITRE II
- Avant Paris, nous étions en représentation à Stockholm, et le renseignement que je vais vous communiquer ne date donc pas de plus de dix jours, tint à souligner Nekrassov. Je le tiens d'un correspondant spécialisé dans l’énergie atomique et qui, pour ne pas donner prise à d'éventuelles poursuites, ne transmet que des messages verbaux.
- Moyen prudent, mais peu commode pour expédier des nouveautés d’ordre technique, opposa Coplan avec une nuance d’incrédulité.
- Nous sommes en avance sur les Suédois et ce ne sont pas leurs réalisations qui nous intéressent, répliqua Nekrassov. Le rôle de ce correspondant n’est pas celui que vous imaginez et, d’ailleurs, je ne vous en dirai pas davantage là-dessus. Appelons-le Fredrik, pour plus de facilité. On le considère comme une source sérieuse. Lors de notre entrevue, il m’a confié qu’une organisation non identifiée cherchait à obtenir les plans des centrales nucléaires suédoises et qu’il espérait avoir sous peu quelques précisions la concernant.
- Une bonne dizaine de réseaux officiels et privés seraient-ils attelés à la même besogne que ça ne m’étonnerait pas outre mesure, laissa tomber Coplan. Cela ou rien, c'est pareil.
- Attendez, s’impatienta l'agent soviétique. L’essentiel du message de Fredrik consistait à prévenir Moscou que l’activité de cette organisation visait également les centrales russes et françaises, entre autres votre centre de recherches de Saclay et vos installations de Pierrelate.
Un silence s'établit dans la pièce.
Finalement, Coplan demanda :
- C’est tout ?
- Oui.
Au bout de quelques secondes, Coplan écrasa sa cigarette d’un geste décidé. Il fixa Nekrassov et rugit :
- Est-ce que vous vous fichez de moi ? Vous figurez-vous que nous avons besoin d'indications aussi vagues ? Des tas de gens lorgnent du côté de nos installations atomiques et nos dispositions sont prises en permanence pour éviter les curieux. Votre tuyau, c’est du vent !
Interdit, le Russe blêmit.
- Mais..., bégaya-t-il, je suppose pourtant que si un de vos correspondants vous envoyait un renseignement de ce genre, vous en tiendriez compte ?
- D'accord, mais nous saurions quel crédit lui accorder, nous lui demanderions des détails complémentaires, nous tâcherions d’avoir un début de piste. Tandis que votre histoire, elle ne nous est pas plus utile qu’un ragot de concierge.
Nekrassov baissa le front. N’étant pas un spécialiste, mais un simple sous-ordre, une boîte aux lettres ambulante, il n’avait jamais songé aux difficultés d’exploitation d’un renseignement et il avait cru de bonne foi que sa révélation présentait autant d’intérêt pour les Français que pour le Razvedroup.
Coplan, devinant ce qui se passait dans la tête de son interlocuteur, entreprit d’éclairer celui-ci :
- La valeur d’une information dépend, d’abord et avant tout, de son origine. En l’occurrence, l’origine, c’est vous, c'est-à-dire un suspect. Au départ, l’affaire est douteuse. Mais, à l’échelon précédent, l’origine devient déjà moins nébuleuse, et si vous nous permettiez de joindre Fredrik, par exemple, je commencerais à examiner la question de plus près.
Placé devant un dilemme, Nekrassov resta pensif.
Coplan reprit avec fermeté :
- Si vous voulez vraiment nous rendre un service, vous devez m’indiquer la source... Il est bien entendu, et je m’en porte garant, que vous ne serez jamais mentionné si nous entrons en rapport avec Fredrik. D’autre part, nous agirons avec la discrétion voulue pour ne pas le compromettre : ses menées illégales en Suède ne nous importent pas. Notre seul but serait d’élucider si, oui ou non, un réseau d’espionnage atomique a des ramifications sur notre territoire.
Nekrassov releva les yeux.
- Oui.,. Évidemment. C’est régulier, concéda-t-il. Mais si je vous fournis la possibilité de contacter Fredrik, me promettez-vous que, ensuite, je ne serai pas mis sur le gril pour... tout le reste ?
Coplan sourit de façon ambiguë.
- Vous la trouveriez mauvaise si on vous interrogeait sur les personnes que vous deviez rencontrer en France, hein ?
Une grimace maussade du danseur prouva qu’il en convenait.
- Nous verrons ça plus tard, lorsque nous aurons vérifié l’exactitude de vos déclarations, poursuivit Coplan. Comment pouvons-nous atteindre votre agent en Suède ?
Il était 6 heures moins dix quand Coplan pénétra dans le sanctuaire du Vieux.
- Alors, votre impression ? questionna ce dernier, plutôt surpris de voir reparaîtra son collaborateur.