- Monsieur Belat ? J'ai ici une dame qui désire vous voir. Elle n'a pas de rendez-vous mais elle dit que c'est urgent, et important.
Georges Belat, ayant reconnu la voix de l'huissier, s'enquit :
- Vous a-t-elle donné son nom ?
- Oui. Mme Micheaux, Béatrice.
Cela rappelait vaguement quelque chose à l'attaché d'ambassade. Mais s'agissait-il des mêmes Micheaux ?
L'emploi du temps de Belat n'était pas très chargé ce matin-là.
- Bien, je vais la recevoir.
Il raccrocha le téléphone, mit prestement un peu d'ordre dans les dossiers qui encombraient son bureau. Mince, blond, âgé de trente-trois ans, il était en poste à Djakarta depuis quatre années déjà, mais c'était la première fois qu'une femme demandait à le voir à son bureau. Il se lissa les cheveux d'un geste hâtif, resserra son nœud de cravate trop lâche.
On frappa à la porte.
- Entrez !
L'huissier ouvrit le battant pour introduire la visiteuse, et Georges Belat éprouva une sensation agréable en voyant pénétrer chez lui une jolie femme à la démarche élégante. Svelte, d'une taille un peu inférieure à la moyenne, elle avait un visage mutin encadré de cheveux bruns dont une frange lui masquait le front. Mais une expression tendue, tourmentée, altérait ses traits.
Levé, Belat la salua d'une inclinaison du buste en lui désignant un fauteuil.
- Ravi de vous connaître, madame, prononça-t-il, sûr de ne jamais l'avoir rencontrée. En quoi puis-je vous être utile ?
Béatrice Micheaux s'assit, tourna la tète pour voir si l'huissier avait refermé la porte, ramena son regard anxieux vers l'attaché.
Puis, joignant les mains, elle parla :
- Excusez-moi... Je m'adresse à vous en désespoir de cause, sans même savoir si je puis attendre un résultat quelconque de cette démarche, mais il fallait que... (Elle se mordit la lèvre.) Enfin, de toute façon, vous êtes mieux renseigné que moi.
Belat, qui s'était rassis, l'observa.
- Reprenez votre calme, dit-il tranquillement. Quel que soit votre problème, je m'efforcerai de vous aider. Que se passe-t-il ?
La jeune femme déclara tout d'une traite :
- Hier soir, des militaires indonésiens sont venus arrêter mon mari, soi-disant pour un simple témoignage. Et, ce matin, à 10 heures, il n'était pas encore rentré. Est-ce que l'ambassade ne pourrait pas intervenir pour le faire relâcher ?
L'attaché demeura impassible.
- Vos inquiétudes sont probablement prématurées, émit-il sur un ton apaisant. Dites-moi d'abord ce que fait votre mari. Êtes-vous installés depuis longtemps dans ce pays ?
Visiblement, il ne prenait pas l'affaire au tragique. Sans doute, d'autres Français avaient-ils connu précédemment semblable mésaventure. Mais, pour Béatrice Micheaux, le fait que son époux eût été incarcéré n'en était pas moins bouleversant.
- Mon mari est ingénieur, expliqua-t-elle. II coopère avec le P.N.L. (Organisme d'État analogue, en Indonésie, à l'E.D.F. en France), au sein d'une filiale d'une grosse entreprise française, à la rénovation du réseau de distribution d'électricité dans la ville de Djakarta. Nous sommes arrivés ici il y a deux ans à peu près, et je ne vois vraiment pas ce qui a pu motiver cette interpellation. Nous menons une vie des plus régulières, assez retirée même, à tel point que nous avons peu de relations avec nos compatriotes, et encore moins avec d'autres membres de la colonie étrangère.
- Où habitez-vous ?
- Au 310, avenue de Sumatra, à moins d'un quart d'heure de marche de votre ambassade. Mon mari est un honnête homme, et il me semble que vous devriez au moins tenter de savoir de quoi on l'accuse.
Georges Belat plissa le front.
- Chère madame, dit-il en regardant son interlocutrice, je devine votre appréhension, mais est-elle bien légitime ? Il n'y a pas vingt-quatre heures que votre époux a été emmené. En Asie, les choses ne vont pas aussi vite que chez nous. Au reste, rien ne prouve qu'il soit sous le coup d'une inculpation. Je ne puis que vous conseiller de prendre patience. Si vous n'aviez pas de nouvelles de votre mari dans les deux prochains jours, revenez me voir ou téléphonez-moi. Je voudrais cependant vous poser une question : pourquoi vous êtes-vous adressée à moi ? Une assistance du genre de celle que vous sollicitez n'entre nullement dans le cadre de mes attributions.
L'air aimable de l'attaché atténuait un peu la froideur de ses propos. Néanmoins, cela n'amoindrit pas la déconvenue qu'éprouvait Béatrice, qui répondit :
- Un jour, au cours d'une conversation, Lucien avait cité votre nom en disant que, pour certaines formalités telles que l'obtention de pièces d'état civil ou un renouvellement de passeport, nous aurions des facilités en passant par votre entremise. Je m'en suis souvenue ce matin.
- Ah ? fit Belat, perplexe. Puis, après un temps :
- Comment se sont comportés ces militaires qui se sont présentés chez vous ? N'ont-ils pas questionné votre mari avant de l'obliger à les suivre ?
- Non... Ils se sont assurés de son identité, et ensuite ils l'ont prié de les accompagner. Il y avait un officier et deux soldats. Lucien ayant demandé s'il devait emporter des objets de toilette, le gradé a déclaré que ce n'était pas nécessaire. Son attitude a été plutôt courtoise, je dois le reconnaître.
De l'index, Belat se gratta la joue. Une hypothèse lui avait traversé l'esprit.
- Avez-vous des enfants ? s'enquit-il, sensible à la séduction de la jeune femme.
- Non, dit-elle. Sous ce climat déprimant, nous avons jugé préférable de ne pas en avoir. Mais vous estimez donc qu'il n'y a rien à faire pour le moment ? Pas même requérir les services d'un avocat ? Il est tout de même bizarre que ce soient des soldats, et non des policiers, qui aient appréhendé mon mari ?
- Cela n'est pas aussi étrange que vous le pensez. Tout dépend de la nature des éclaircissements qu'on voulait lui demander. A mon humble avis, on doit l'interroger sur un Indonésien avec lequel son travail l'a mis en rapport. Sur le plan politique, les agents des services publics sont très surveillés dans ce pays.
Béatrice Micheaux, réalisant que, momentanément, elle ne pourrait pas compter sur un appui de l'ambassade, décroisa les jambes pour se lever. Peut-être, après tout, s'était-elle exagéré la gravité de la situation. Lucien n'était pas de ceux qui, par inconscience, se mettent une vilaine affaire sur les bras.
Georges Belat reprit, bienveillant :
- Ne vous tracassez pas outre mesure. S'il le faut, nous userons de notre influence pour que votre mari soit libéré. Tenez-moi au courant. Un dernier conseil : n'essayez pas de découvrir vous-même ce qu'on lui reproche, ce serait une perte de temps. On vous renverrait d'un bureau à l'autre.
Elle soupira, désemparée.
- La mentalité de ces Orientaux m'échappera toujours, avoua-t-elle. On ne sait jamais ce qui est légal ou ce qui ne l'est pas... Vous imaginez cela en France, que des soldats viennent vous chercher à domicile sans vous donner la moindre raison ?
Belat eut, en la reconduisant, un léger mouvement d'épaules. Citant Kipling, il marmonna :
- « East is east and West is west... » Ni les principes, ni le temps n'ont la même valeur ici qu'en Europe. Avez-vous prévenu la société qui emploie votre mari ?
- Pas encore.
- Faites-le. Elle a très probablement des contacts avec les autorités. Peut-être aura-t-elle plus de chances que vous d'apprendre le motif de cette interpellation.
- Je vais y allez séance tenante, approuva Béatrice. Merci pour votre accueil. Je me sens un peu moins nerveuse qu'à mon arrivée. Au revoir, monsieur Belat.
Il serra la main tendue, regarda s'éloigner vers l'ascenseur la belle visiteuse dont la robe légère accusait la taille fine et les hanches admirablement galbées.
Puis il referma la porte et médita un instant, moins optimiste qu'il ne l'avait montré.
Plutôt singulier, que l'ingénieur eût spontanément demandé à l'officier s'il devait emporter des effets. De plus, une arrestation effectuée par des militaires, et non par la police, signifiait qu'il ne s'agissait pas d'une affaire de droit commun.
Georges Belat, estimant que la jeune femme avait quitté l'étage, sortit de son bureau pour se rendre au service d'état civil de l'ambassade. Là, il consulta le fichier des ressortissants français vivant en Indonésie, en retira la fiche de Micheaux.
Un simple coup d’œil l'édifia. Dans l'angle supérieur gauche, il y avait une petite marque au crayon, peu visible, à laquelle un non-initié n'aurait pas prêté la moindre attention.
Voilà pourquoi Micheaux avait, incidemment, parlé de Belat à son épouse. L'attaché glissa un carton à la place de la fiche qu'il avait prélevée, pour indiquer qu'il en manquait une, et emporta celle-ci.
Lorsqu'il fut revenu dans son bureau, il examina plus posément la photo agrafée à la fiche, ainsi que les inscriptions.
Nettement plus âgé que son épouse, l'ingénieur. Au moins une dizaine d'années. Un masque volontaire, un caractère décidé. Capitaine de réserve, né à Tours. N'avait changé qu'une fois de domicile depuis son arrivée à Java.
Belat se gratta l'occiput. Ce qu'il avait dit à Béatrice Micheaux était valable : dans l'immédiat, il n'y avait pas lieu de s'alarmer. Mais cette marque au crayon modifiait l'aspect des choses. Attendre ne fût-ce que vingt-quatre heures pouvait entraîner de graves conséquences.
Saisissant un stylo-bille, Belat entreprit de rédiger un message pour le service du Chiffre. A l'extérieur, un nouvel orage éclatait.
Le lendemain après-midi, dans sa demeure, une ancienne et solide villa hollandaise de style colonial, Béatrice écrivit une lettre à ses parents, qui habitaient Châteaudun.
Ne parvenant ni à s'occuper ni à se distraire, elle n'avait rien trouvé de mieux que de leur confier ses soucis. Mais les phrases ne venaient pas. Tantôt elle adoptait un ton trop détaché, tantôt elle révélait son anxiété par des mots qui risquaient de troubler inutilement son père et a mère.
Son entrevue avec un des dirigeants de la société qui employait Lucien avait été aussi décevante que sa conversation avec l'attaché de l'ambassade : mêmes propos évasifs, mêmes recommandations, mais aucune promesse positive.
La vue, par la fenêtre, d'une voiture de l'armée qui franchissait le portail du jardin fit tressaillir Béatrice. Elle se dressa d'un élan, saisie d'un grand espoir. Mais seuls trois militaires descendirent du véhicule. L'instant d'après, les notes du carillon d'entrée tintèrent.
Béatrice, le cœur battant, alla au-devant des arrivants, auxquels la servante malaise avait ouvert la porte. Le chef du trio, en chemise kaki, Colt sur la cuisse, s'informa d'une voix traînante, en anglais :
- Êtes-vous Mrs Micheaux ?
- Oui. M'apportez-vous des nouvelles de mon mari ?
Le visage plat et cuivré de l'Indonésien ne bougea pas.
- Vous devez venir avec nous, prononça-t-il.
- Moi ? Où ça ? demanda la jeune femme, en plein désarroi.
- Avec nous, dit l'officier.
Un instant, Béatrice crut que Lucien était mort, et que ces hommes étaient chargés de l'amener devant son cadavre. Pâlissante, elle éprouva un vertige, se pétrit le front pour dissiper son malaise.
Les deux subalternes s'étaient approchés d'elle. Ils l'encadraient, prêts à l'emmener de force si elle n'obéissait pas.
- Let's go, conclut le gradé.
Il fit demi-tour, ouvrit la marche. Béatrice, interdite, fut contrainte de lui emboîter le pas. L'idée de quitter son domicile à l'improviste, sans avoir pu prendre la moindre disposition, sans prévenir quelqu'un, fit monter en elle un sentiment de révolte, mais avant qu'elle eût pu bégayer une protestation, elle dut monter dans la voiture.
La servante, effarée, assista au départ du véhicule. Ce dernier, après avoir débouché dans l'avenue de Sumatra, prit de la vitesse sur l'asphalte mouillé.
La chaleur lourde de l'extérieur, après la température fraîche des pièces climatisées de la villa, ne parvint pas à réchauffer la jeune Française. Coincée entre ses gardiens, elle fit un effort pour contenir la panique qui s'emparait d'elle. Que lui voulait-on, au juste ?
Moins de dix minutes plus tard, elle dut descendre dans la cour d'un bâtiment administratif qu'elle ne connaissait pas, et dans lequel circulaient des soldats. Conduite par son escorte, elle fut amenée dans un bureau où siégeait un lieutenant.
Il y eut un bref dialogue entre les deux Indonésiens, dans leur langue natale, puis le lieutenant prit un formulaire et s'adressa en anglais à l'Européenne sur un ton neutre, très administratif :
- Vos nom, prénom, date et lieu de naissance.
Béatrice puisa dans son indignation la force de rétorquer :
- Enfin, quels sont ces procédés ? Vous pourriez me dire au moins pourquoi vous m'avez fait venir !
L'officier, indéchiffrable, posa sur elle un regard vague.
- Ce n'est pas moi, déclara-t-il. Je dois simplement remplir les formalités pour votre incarcération à la prison de Salemba.
- Comment ? Vous allez m'emprisonner ? Mais pour quelle raison ?
Une ombre d'agacement parut sur le faciès de l'Asiate.
- Parce que j'en ai reçu l'ordre, répondit-il. Vous serez entendue par un autre officier quand j'en aurai terminé avec ces papiers. Ne me faites pas perdre du temps. Comment vous appelez-vous ?
Sentant qu'elle n'influencerait d'aucune manière la marche pesante et implacable de cet organisme répressif qui, déjà, avait capturé son mari, Béatrice fournit, un à un, tous les renseignements demandés. On ne l'avait même pas invitée à s'asseoir.
Méticuleux, écrivant lentement, le lieutenant se faisait épeler tous les mots. Cela dura plus de vingt minutes.
Ensuite, après un autre colloque inintelligible pour la Française, celle-ci fut convoyée vers un autre bureau, plus spacieux, occupé par un personnage d'aspect débonnaire auquel furent remises les formules précédemment remplies.
Doté d'une figure ronde de Bouddha graisseux, l'enquêteur militaire commença par lire ces documents puis, ayant congédié l'escorte, il regarda la prisonnière. De haut en bas. Avec une insistance frisant l'indiscrétion.
Béatrice articula
- Aurez-vous l'obligeance de me dire enfin pourquoi je suis arrêtée Personne n'a l'air de le savoir.
- Moi, je le sais, dit le gros Indonésien. Si vous désirez que je déchire ces papiers et que je vous autorise à rentrer chez vous, il vous suffira de répondre franchement à mes questions. Asseyez-vous, je vous prie.
Elle obtempéra, ranimée par un léger espoir.
- Je ne vois pas ce que j'aurais à cacher, répliqua-t-elle en joignant ses mains moites sur son genou. Tout ceci me paraît inconcevable. Vous devez commettre une erreur.
L'homme se carra dans son fauteuil, eut un sourire inquiétant.
- Nous ne commettons jamais d'erreur, assura-t-il, doucereux. Mais nous avons souvent en face de nous des gens qui mentent, et qui refusent de reconnaître leurs fautes. Tôt ou tard, ceux-là, nous les convainquons d'admettre que nous avions vu juste.
A nouveau, il détailla complaisamment son interlocutrice.
- Si vous l'ignorez encore, reprit-il, je précise que vous êtes en ce moment dans les locaux du Kopkamtib, le service de l'armée chargé du maintien de l'ordre et de la Sécurité dans le pays. Certaines activités occultes de votre mari nous ont conduits à le mettre en détention. Au cours de deux interrogatoires, il a avoué qu'il entretenait des rapports secrets avec des communistes, et nous savons que ceux-ci n'arrêtent pas de comploter pour renverser le régime.
Béatrice, abasourdie, s'insurgea :
- Voyons, c'est complètement ridicule ! D'abord, mon mari n'a jamais eu de sympathie pour les partis de gauche, pas plus ici qu'en France. Et ensuite, en dehors de ses obligations professionnelles qui absorbent presque tout son temps, il reste à la maison, avec moi. Nous ne fréquentons pas plus des Européens que des Indonésiens.
Le visage du Javanais se ferma. Tapotant de son crayon les formulaires étalés devant lui, il murmura :
- Vous êtes en train de nier l'évidence, attendu que j'ai déjà les aveux de votre époux. Votre attitude est dangereuse, croyez-moi. Si vous ne coopérez pas, votre cas va prendre une mauvaise tournure.
- Mon mari ne peut avoir avoué des choses pareilles, totalement fausses ! Et moi, que suis-je supposée devoir vous révéler ?
- Réfléchissez bien, Mrs Micheaux. Il est très possible que votre mari ait oublié volontairement de citer le nom de l'un ou l'autre des individus se livrant à des activités subversives, ou même terroristes. Cela, nous devons le savoir très vite. En comparant votre témoignage à sa déposition, je m'apercevrai s'il a omis d'en dénoncer. Je veux que vous me désigniez toutes ses relations à Djakarta, y compris celles qu'il ne contactait que par téléphone.
Béatrice ne put se défendre de hausser les épaules.
- Comment voulez-vous que je les cite ? Je n'en connais sûrement pas le quart. Il voyait pas mal de gens, forcément, dans le cadre de son travail, mais il n'avait pas de raisons de m'en parler ! En outre, je ne parviens pas à retenir les noms javanais.
- Je le regrette pour vous, assura l'officier, perfide. Cela m'oblige à vous inculper de complicité. Une nuit en cellule rafraîchira peut-être votre mémoire.
Il la contempla encore d'un œil félin. Pas trop mécontent, en somme, qu'elle fît de l'obstruction. Lui, il l'avait mise en garde, honnêtement.
Il ajouta :
- Vous n'avez donc strictement rien à dire, vous en êtes sûre ?
- Mais je vous répète que cette accusation ne tient pas debout ! Je peux, naturellement, énumérer quelques amis, des techniciens de la distribution du courant électrique pour la plupart, et qui n'ont aucune affinité avec des groupes politiques clandestins.
- Qu'est-ce qui vous permet de l'affirmer ?
Béatrice, interloquée, mit du temps à se ressaisir.
- Heu... Eh bien, il me semble que leurs propos auraient trahi leur tendance.
- Précisément, approuva l'Indonésien. Pensez-y. Certains ont dû laisser percer le bout de l'oreille. Prawiro, par exemple.
Affichant une expression soucieuse, elle déclara :
- Je ne connais pas ce monsieur.
- Et Gisèle Stephan ? Vous ne l'avez jamais vue non plus, je présume ?
- Gisèle ? prononça Béatrice, effarée. Mais si... Elle est venue plusieurs fois chez nous. Vous n'allez pas prétendre que c'est une communiste ?
- Ce n'est pas moi qui le prétends, c'est elle qui a fini par en convenir. Ne faites donc pas semblant de tomber des nues. Vous la connaissiez assez intimement pour discerner ses opinions. Il en va sûrement de même pour d'autres de vos fréquentations.
Béatrice avait l'impression de sombrer dans un cauchemar. Cet homme, qui avait l'air d'être parfaitement sûr de lui, proférait des affirmations stupéfiantes. Mensongères, elle en était persuadée, mais que pouvait-elle lui opposer ?
Soudain, après un long silence, l'Indonésien grommela :
- Vous l'aurez cherché. Je me vois dans l'obligation de contresigner ce mandat d'emprisonnement.