En cette soirée de novembre, où une légère brume ouatait la clarté des hauts lampadaires bordant la route nationale, ce coin de la banlieue nord de Paris était tristement désert.
Après le reflux massif des voitures qui ramenaient dans leurs communes-dortoir les habitants d’Eaubonne et de Saint-Leu, la circulation s’était rapidement tarie. Mais si de rares véhicules aux feux en code passaient encore de temps à autre sur la grande voie macadamisée, les avenues adjacentes, avec leurs pavillons clairsemés aux persiennes closes, étiraient dans une obscurité silencieuse leur perspective solitaire.
Une fourgonnette Peugeot noire, venant d’Enghien, ralentit avant de virer sur la droite dans une de ces avenues dont seuls les riverains connaissent le nom, puis, cinquante mètres plus loin, elle bifurqua de nouveau, s’immobilisa dans un chemin troué d’ornières, entre deux terrains non bâtis envahis par une végétation arborescente, trop vivace pour succomber à l’automne.
Les deux occupants de la voiture - leur physique et leur mise étaient parfaitement banals - jetèrent un coup d’œil indifférent à la montre du tableau de bord et, sans échanger un mot, ils entamèrent leur attente.
Celle-ci fut d’ailleurs très brève car, émergeant des fourrés sur leur gauche, une silhouette se dirigea d’un pas tranquille vers la voiture, vint se montrer à la portière du conducteur.
Les présentations furent superflues : l’inconnu, vêtu d’un imperméable noir, avait la tête enveloppée dans une cagoule, et le feutre qui le coiffait achevait de lui donner l’air sinistre d’un meurtrier sadique. Mais le regard direct et lucide qu’il braqua sur les deux agents des Services Spéciaux n’était pas celui d’un déséquilibré, ni d’un hors-la-loi.
D’un signe, le chauffeur invita l’arrivant à monter à l’arrière. Lorsque la portière eut claqué, il démarra.
La fourgonnette tangua durement sur les bosses et les creux du chemin, rejoignit une transversale qui la ramena sur la grand-route et repartit en direction de Paris.
Vingt-cinq minutes plus tard, elle pénétra dans le couloir d’un immeuble du boulevard Magenta. Les occupants de la banquette avant mirent pied à terre et allèrent refermer les vantaux du portail avant de faire descendre leur énigmatique passager.
Ils s’engouffrèrent avec lui dans l’ascenseur, montèrent au quatrième. L’un d’eux appuya sur le bouton de sonnerie d’un appartement et, lorsque la porte se fut ouverte, il dit en cédant le passage à l’inconnu :
- Voici le... votre correspondant. Faudra-t-il le reconduire ?
- Non, merci, c’est terminé pour vous, répondit Francis Coplan. Vous pouvez regagner vos pénates. Et oubliez cette balade, hein ?
Les gardes du corps acquiescèrent et tournèrent les talons tandis que l’homme à la cagoule entrait dans l’appartement. Coplan repoussa la porte.
- Voulez-vous me suivre ? pria-t-il.
A sa suite, l’inconnu se rendit dans un salon Louis-philippard, douillet, encombré de bibelots. Un sexagénaire aux sourcils agressifs était confortablement installé sur le canapé, les jambes croisées, un bras étendu sur la boiserie du dossier.
L’invité se découvrit, salua ses hôtes d’une petite inclinaison du buste.
- Merci de m’avoir accordé cette entrevue... peu protocolaire Messieurs, articula-t-il avec une pointe d’accent étranger. Excusez-moi de cet excès de précautions, mais je pense qu’il était aussi souhaitable pour vous que pour moi.
Il se débarrassa prestement de la cagoule qui masquait ses traits et, dévoilant son visage bronzé, il ajouta :
- Bechor Hargaz, directeur de la 4e Section du Chech-Beth.
Le Vieux et Coplan, quelque peu surpris, contemplèrent l’envoyé du S.R. israélien. Ils avaient cru que ce contact, sollicité par des voies assez tortueuses, n’allait les mettre en présence que d’un agent ordinaire.
- Enchanté, M. Hargaz, prononça le Vieux en se décidant à quitter son canapé. Je me nomme Ségur. Et voici mon collaborateur, Cadouin. Ce dont vous avez à me parler vous obligeait-il à lever votre incognito ?
L’interpellé ôta son imperméable, le déposa sur une chaise.
- Oui, moralement, affirma-t-il d’un ton soucieux. C’est une lettre de créance, en quelque sorte. Les choses eussent été différentes si cette rencontre avait été ménagée par les intermédiaires diplomatiques habituels. Mais j’ai jugé préférable de tenir nos gouvernements respectifs à l’écart du problème que nous devons débattre. Ainsi, le principe d’une coopération... délicate ne sera pas mis en cause.
Le Vieux se rassit. Son opinion sur Hargaz était formée : l’homme faisait le poids. Il voyait clair, savait contourner les écueils ou abattre franchement son jeu quand il l’estimait utile.
De son côté, Coplan étudiait avec intérêt la personnalité de l’Israélien. La physionomie de ce dernier semblait refléter une fatigue vieille de plusieurs siècles et pourtant, quand ses paupières se relevaient, une inlassable énergie brûlait dans ses prunelles. Un besoin de confiance presque pathétique se lisait sur ses traits tirés.
- Prenez place, M. Hargaz, suggéra le Vieux en désignant un fauteuil. Quel est le domaine dans lequel nous pourrions éventuellement vous épauler ?
Sa bonhomie effaçait le conditionnel de ce propos. Hargaz se sentit soudain plus à l’aise. Il percevait, chez ses interlocuteurs, une curiosité amicale qui allait au-delà de la courtoisie qu’on témoigne à l’égard d’un collègue étranger.
- Je ne suis pas venu vous demander un soutien sans contrepartie, précisa-t-il, détendu. En fait, il s’agirait de nous associer pour mener en commun une enquête dont les résultats peuvent influencer l’équilibre des forces au Moyen-Orient.
Coplan se tâta les poches, en extirpa son paquet de cigarettes. Il en prit une sans détacher son regard de l’Israélien.
- Nous vous écoutons, déclara le Vieux, attentif.
- Au départ, il n’y a rien que vous ne sachiez déjà, commença Bechor Hargaz. La presse mondiale, dont les représentants au Caire avaient du reste été conviés par Nasser, a révélé que l’Égypte possède à présent des fusées de portée moyenne capables d’atteindre les principales villes du Liban, de Jordanie et d’Israël. Plus récemment, les journaux ont relaté la disparition de trois savants qui avaient participé à la mise au point de ces missiles et, aussitôt, les Égyptiens nous ont accusés de les avoir enlevés, sinon supprimés.
- Je n’ai pas tenu ces allégations pour totalement invraisemblables, émit le Vieux avec une pointe d’humour. Ai-je eu tort ?
- En l’occurrence, oui. Nous ne sommes pour rien dans la volatilisation successive de ces experts, et nous aimerions savoir ce qu’ils sont devenus. Cela, pour une raison majeure...
Il dévisagea ses interlocuteurs, puis il poursuivit :
- Gerhard Bolz, un ancien de Pennemünde, a disparu alors qu’il était de passage à Munich. Son ami Bruno Schwarz se trouvait au Caire quand, brusquement, on a perdu sa trace. Et enfin Camille Lanioux, citoyen français, a été vu pour la dernière fois à Rome. Les deux Allemands et votre compatriote avaient travaillé ensemble dans les ateliers où a été conçue votre fusée « Véronique ».
- Je sais, dit le Vieux. Bolz et Schwarz avaient été récupérés par nos services, en Bavière, peu après la fin de la guerre. Ils ont apporté une contribution importante au démarrage de notre programme d’engins spatiaux. Si mes souvenirs sont bons, ils ont pu quitter librement la France vers 55 ou 56. Quant à Lanioux, son nom ne me dit rien.
- Ce n’est pas un théoricien, c’est plutôt un réalisateur, un constructeur. Pendant des années, il avait été en très bons termes avec Bolz et Schwarz et je suppose que c’est à leur demande qu’il les a rejoints en Égypte. Mais il n’y est pas allé dans une intention bassement lucrative...
Un sourire ambigu plissa les lèvres d’Hargaz.
- Lanioux est un juif, mais ça ne se voit pas, reprit-il. En acceptant l’offre qui lui était faite, il avait un autre but que d’accroître le potentiel militaire de Nasser : notre jeune nation étant particulièrement visée par ces armes nouvelles, il s’était promis de nous tenir au courant de ce que manigançaient les Égyptiens. Cette promesse, il l’a tenue, malgré les risques auxquels il s’exposait et sans vouloir la moindre rétribution.
Coplan et le Vieux échangèrent un bref coup d’œil. Ils commençaient à discerner le mobile de la visite d’Hargaz.
- Je puis vous assurer tout de suite que nous n’avons pas appréhendé de force ces trois hommes, si c’est ce que vous craignez, déclara le Vieux, très positif.
- C’est plutôt ce que j’espérais, rectifia Bechor Hargaz. Maintenant, le mystère reste entier. Pour nous, Lanioux était un informateur irremplaçable.
Le Vieux se gratta l’aile du nez.
- N’aurait-il pas été coffré tout bonnement, avec ses collègues, par le Service de contre-espionnage de la R.A.U. ? avança-t-il. Ce serait assez plausible, compte tenu de ce que vous venez de nous révéler.
Hargaz secoua négativement la tête.
- Je ne le crois pas, car dans ce cas le Caire aurait mené grand tapage autour de l’affaire pour attiser contre nous la haine du monde arabe. On aurait organisé un procès à grand spectacle, insisté sur l’extraordinaire sagacité des polices égyptiennes, et...
Coplan sortit de son mutisme :
- Lanioux, Schwarz et Bolz ne se terreraient-ils pas quelque part, de leur propre volonté, parce qu’ils se sentent surveillés ?
- Ceci n’est pas exclu, admit Hargaz. A mon avis, il y a trois possibilités : tout d’abord, celle que vous mentionnez. Ces spécialistes en astronautique pourraient être revenus en France et ils se cacheraient ici sous des noms d’emprunt, estimant qu’une menace plane sur eux. Seconde hypothèse : ils seraient passés à l’Est, attirés par les moyens scientifiques immenses que la Russie met à la disposition des chercheurs. Dans leur branche, ces hommes sont des fanatiques, ne l’oublions pas : ils sont réfractaires à toute idéologie, leur seule passion étant la conquête de l’espace. Troisième éventualité : ils auraient exprimé leur intention de quitter l’Égypte définitivement, et on les aurait capturés, séquestrés pour les contraindre de poursuivre leurs travaux. C’est ce dernier point que je m’efforce d’éclaircir.
Le Vieux opina du bonnet.
- En somme, résuma-t-il, vous souhaiteriez que Lanioux reprenne ses fonctions sur les bords du Nil, pour autant qu’il ne soit pas grillé auprès de ses employeurs ?
Les traits tourmentés de l’Israélien s’éclairèrent imperceptiblement.
- Je n’irai pas jusque là, répondit-il à mi-voix. Dans l’immédiat, je sollicite votre aide pour élucider au plus vite si Lanioux est en territoire français. Le cas échéant, je voudrais entrer en contact avec lui pour lui demander les raisons de sa fuite. Un certain remaniement de nos réseaux en Égypte s’impose peut-être.
Un silence tomba.
Coplan, tout en examinant ses ongles, prononça :
- Si Lanioux était vivant, et libre, n’aurait-il pas pris l’initiative de vous tranquilliser sur son sort ?
- Pas obligatoirement, riposta Hargaz. Il n’était qu’un informateur bénévole, vous comprenez ? Il pouvait cesser de communiquer avec nous du jour au lendemain sans nous devoir la moindre explication. Mais nous avons une dette envers lui. S’il est prisonnier, ou s’il est en danger, notre devoir est de lui porter secours.
Après un temps de réflexion, le Vieux dit en fixant l’Israélien :
- D’accord. Nous allons entamer les recherches. Toutefois, n’en escomptez pas trop : je crains fort que Lanioux et ses collègues germaniques soient tombés l’un après l’autre dans un piège.
- C’est aussi ce que je redoute, reconnut Hargaz. Mais je n’aboutirai à une certitude qu’en éliminant les autres éventualités. Je devrais, logiquement, tenter une démarche semblable en Allemagne. Ne pourriez-vous pas vous en charger ?
- Pourquoi ? fit Coplan. Vos rapports avec la République Fédérale ne sont pas mauvais, que je sache ?
- Non, bien sûr... Mais il me serait difficile de dévoiler le dessous des cartes et, à Bonn, on s’imaginerait que je veux retrouver ces gens pour m’en emparer. Venant de votre part, la requête paraîtrait plus désintéressée : il est normal que vous vous occupez du sort d’un de vos ressortissants, et même de celui de techniciens étrangers qui ont été employés dans vos bureaux d’études.
- Hum... toussota le Vieux. Vous devez être un adversaire redoutable au jeu d’échecs, monsieur Hargaz.
- Je ne représente qu’un tout petit pays, fit valoir l’agent du Chech-Beth en repliant sa cagoule. Les effectifs et le budget de mon service sont des plus limités, car nous sommes encore très pauvres. Il me faut donc chercher de l’aide auprès de pays plus puissants.
Le Vieux étudia son interlocuteur.
- Comment vous communiquerai-je le résultat de nos enquêtes ? s’informa-t-il, presque bougon.
- Deux de mes collaborateurs m’avaient précédé à Paris. Je vais vous donner leurs nom et adresse. Si ce n’est trop abuser, je vous prierais de les associer très étroitement à certaines investigâtions. Les recherches auxquelles ils ont déjà procédé à Rome et à Munich, autant que leur connaissance générale de l’affaire, leur permettraient d’interpréter des indices qui, pour une autre personne, n’auraient guère de signification. Ces camarades me tiendront au courant.
Vingt minutes plus tard, lorsque Bechor Hargaz eut quitté l’appartement pour se fondre dans la nuit parisienne, le Vieux entreprit de bourrer songeusement sa pipe.
- Ficelle, le gars, commenta-t-il à l’intention de Francis quand il eut tassé son tabac dans le fourneau de sa bouffarde. Je ne parierais pas ma retraite sur la sincérité absolue des motifs qu’il a avoués, mais rien ne s’oppose à ce que nous mettions la roue en branle. Quelle est votre opinion, Coplan ?
L’interpellé eut une mimique dubitative.
- Je crois que ce que nous a raconté Hargaz est vrai en tout point, mais qu’il veut faire apparaître la vérité surtout parce que l’opinion publique mondiale soupçonne les services secrets israéliens d’avoir assassiné les trois disparus. De telles suppositions sont gênantes. Elles sont d’autant plus difficiles à réfuter qu’elles sont plausibles, et elles alimentent la propagande de l’adversaire. Vous-même...
- Hé oui, j’y avais pensé, convint le Vieux avec un petit mouvement d’épaule. Enfin, nous allons voir ça. Puisque ce Lanioux était aux premières loges, dans l’arsenal des missiles égyptiens, nous avons intérêt à remettre la main sur lui.
Il téta quelques bouffées méditatives, reprit :
- Voulez-vous procéder aux vérifications habituelles ? Aux Renseignements Généraux, ils pourront vous dire si notre homme avait gardé une résidence en France. Consultez aussi le fichier du « Personnel » dans le dossier Véronique. Ensuite, nous lancerons un avis de recherche en bonne et due forme.
Coplan ne cacha pas son scepticisme.
- Moi, je veux bien, répondit-il en éteignant sa cigarette dans le cendrier. Les chances de retrouver ces types en vie me paraissent minimes, et encore plus faibles en France que partout ailleurs. Verriez-vous un inconvénient à ce que je me mette d’emblée en rapport avec les agents d’Hargaz ?
- Aucun. Mais que comptez-vous leur dire ?
- Je voudrais obtenir d’eux quelques éclaircissements sur les circonstances qui avaient motivé la présence de Lanioux à Rome.
Retirant son tuyau de pipe de sa bouche, le Vieux fronça le nez.
- Ne dépassez pas le cadre de ce qu’on nous demande, conseilla-t-il, se méfiant un peu de la nature impulsive de Coplan. Cela dit, voyez cependant s’ils ont des raisons précises de croire que Lanioux a traversé la frontière franco-italienne.
- Je n’avais pas d’autre projet, affirma Francis.
Et il changea de place l’automatique qui, depuis une heure, alourdissait la poche droite de son pantalon.
CHAPITRE II
Sanglé dans son imperméable au col relevé, Coplan descendit l’avenue vers le croisement du boulevard Gouvion St-Cyr. Une petite pluie finement vaporisée posa un masque humide sur son visage tandis qu’il épiait les voitures en stationnement le long du trottoir. L’obscurité ne lui facilitait pas le déchiffrement des plaques minéralogiques.
Une Simca Beaulieu noire, arrêtée devant l’entrée cochère d’un hôtel particulier au mépris des règlements, aurait fait passer un frisson de joie dans le dos d’un contractuel de service dans le quartier, s’il y en avait eu un à 9 heures du soir.
Pour une tout autre raison, la vue de cette berline détendit les traits de Coplan. Son numéro correspondait à celui qu’on lui avait mentionné. En outre, deux personnes étaient assises à l’intérieur, et elles s’étaient abstenues d’allumer le plafonnier.
Coplan ouvrit la portière, se présenta :
- Bonsoir. Je suis Cadouin.
- Montez, je vous prie.
Il s’introduisit dans la voiture, referma la portière.
- Shimon Eban, dit l’homme assis au volant, la main tendue.
- Content de vous voir.
- Golda Liebers, prononça la femme installée sur la banquette arrière.
Coplan fit pivoter ses épaules pour regarder son interlocutrice et lui donner un shake-hand. Dans l’ombre, il aperçut une blonde aux yeux graves, aux lèvres entrouvertes par un sourire contraint. Jolie, certes, et très attirante, mais portant sur ses traits l’expression fatiguée des êtres dont l’existence n’a été qu’une lutte perpétuelle.
- Très heureux, dit Francis en serrant la paume tiède et satinée de la jeune femme.
Se détournant d’elle à regret, il ramena son regard vers Eban.
- Je n’ai rien de bien marquant à vous annoncer, avoua-t-il tout de go. Jusqu’ici, aucune piste ne semble se dessiner. Les gens qui fréquentaient Lanioux, Schwarz et Bolz sont sans nouvelles d’eux depuis fort longtemps.
Shimon Eban mit le moteur en marche, s’écarta du trottoir.
- Je m’y attendais, soupira-t-il. En mettant les choses au mieux, ils doivent avoir choisi une retraite inviolable.
A l’angle du boulevard, il bifurqua vers la Porte des Ternes.
- Vous y croyez, vous ? questionna Coplan.
- Non, laissa tomber l’agent d’Hargaz.
- Et vous, Mr Cadouin ? s’enquit Golda.
- Je suis plutôt pessimiste. Mais je comprendrais difficilement que Bechor Hargaz ait sollicité notre concours s’il n’avait pas eu un élément encourageant.
- C’est une pure spéculation de sa part, prétendit Eban. Aucun fait matériel n’étaye l’idée d’un repli volontaire des intéressés sur le territoire français.
La voiture obliqua sur la gauche, remonta vers l’Étoile.
- Je vous propose de m’accompagner à l’appartement que Lanioux avait gardé à Paris, dit Coplan. J’ai les autorisations et les instruments voulus pour y pénétrer.
- Avec plaisir, acquiesça le conducteur. Je sais où c’est. Nous avons surveillé l’immeuble pendant une quinzaine de jours, à toutes fins utiles.
- Alors, il est superflu de vous indiquer l’adresse, conclut Francis avec bonne humeur. Auparavant, vous aviez mené des enquêtes à Rome et à Munich, m’a-t-on dit. En ce qui concerne Lanioux, avez-vous pu reconstituer ce qui s’est passé ?
Golda Liebers, se pencha en avant, posa ses coudes sur le dossier, entre les deux hommes.
- Dans la soirée du 3 octobre, votre compatriote a quitté très normalement l’Hôtel Tevere, avec ses deux valises. Il a pris un taxi, le portier l’a entendu citer comme destination la gare de Termini, et puis c’est tout. Ça s’arrête là.
- Le scénario a été exactement pareil pour les deux autres, compléta Shimon. S’il y a eu enlèvement, personne n’en a témoigné. Ou bien nos trois techniciens sont partis, de leur propre initiative, vers un point de ralliement dont ils étaient convenus d’avance, ou bien il se sont rendus en confiance à un rendez-vous qui devait leur être funeste.
- Ils peuvent donc être planqués en Italie...
- N’importe où, corrigea Golda.
- Une plainte a-t-elle été déposée auprès de la police italienne ?
- Oui. Elle a été saisie officiellement. Par le gouvernement égyptien. Mais si elle avait découvert quelque chose de précis, les journaux du Caire ne poursuivraient pas leur campagne d’accusations contre nous.
Par le Trocadéro, la Beaulieu gagna la rue de Passy. Elle trouva un emplacement libre, se gara devant un des magasins de cette artère très commerçante. Ses passagers descendirent.
- S’il y avait quelque chose dans la boîte aux lettres, je présume que vous avez fait main basse dessus, avança Coplan sur un ton détaché, tandis qu’ils franchissaient le porche d’un immeuble.
- Nous avons remis en place ce que nous avions emprunté, spécifia Eban, nullement embarrassé. Il n’y avait là-dedans rien d’instructif, sans quoi je vous l’aurais signalé.